Ils sont les grands-parents de deux jeunes mariés et pendant la cérémonie laïque, ils ont pris la parole pour nous emmener dans un voyage dans le temps. Il y a 60 ans. A l’époque où il fallait demander l’autorisation à ses parents pour « fréquenter » quelqu’un, se fiancer et enfin se marier. A l’époque où on était majeur à 21 ans, qu’on n’avait pas de téléphone ni de télévision. Une époque où le mariage était fait d’amour mais que le romantisme n’était pas aussi sacralisé qu’aujourd’hui. Ce témoignage nous raconte une époque où les jeunes mariés mettaient beaucoup plus d’efforts à construire leur mariage, celui d’une vie, que préparer la journée de célébration. Avec leur autorisation, j’ai le plaisir de partager ce beau témoignage avec vous aujourd’hui.
Témoignage de Juliette et Jean-Philippe : Histoire d’un mariage il y a 60 ans
Quelques précisions sur les moyens de communication de l’époque, dans les années 1950.
Tous nos échanges se sont organisés sans téléphone, et par courrier, quand nous étions séparés ; la poste fonctionnait remarquablement. Nous avons conservé l’un et l’autre presque toutes les lettres échangées.
Nous appartenions tous deux à l’Association Amicale des Anciens Elèves des Ecoles du village, dans le Loiret, où résidaient nos parents qui se connaissaient bien, nos pères assurant ensemble, par exemple, le dimanche matin, la préparation militaire pour les garçons.
Au sein de l’Amicale, association très active, nous avons tous deux participé à des spectacles de théâtre, à des voyages par car de plusieurs jours, et nous nous sommes « fréquentés », comme on disait à l’époque…
en tout bien tout honneur ! Nos parents avaient accepté cette « fréquentation » et ont décidé d’organiser nos fiançailles officiellement – avec parution d’un avis dans la presse locale. La cérémonie se soldait par un repas familial d’apparat chez la fiancée.
Nous étions majeurs (21 ans à l’époque) et nos fiançailles ont eu lieu le 1er juin 1954.
Selon la tradition, j’ai offert à ma dulcinée une bague avec diamants que Juliette porte toujours aujourd’hui. Elle m’a offert de son côté une montre qui fonctionne encore.
Et le soir, chacun est rentré chez soi, comme la bienséance l’exigeait.
Etant entré sur Concours en octobre 1951 à l’Ecole Normale de Paris-Auteuil, j’étais depuis octobre 1953 instituteur à Romainville, mon premier poste, dans la banlieue parisienne, et je revenais régulièrement au village chaque dimanche et pour les vacances scolaires.
J’étais agent d’administration à la Mairie et je préparais par correspondance le diplôme de l’Ecole nationale d’administration municipale pour accéder au grade de de Rédacteur de l’Administration municipale qui pouvaient me permettre d’être mutée dans la Région parisienne.
Puisque nous disposions tous deux d’un revenu, nous avons décidé de partir ensemble en vacances en Alsace, à l’hôtel, près de Colmar, malgré les réticences de nos parents par crainte surtout des on-dit, mais qui cédèrent devant notre détermination.
Au retour, Jean-Philippe devant accomplir son service militaire sur quinze mois, nous avons annoncé qu’à l’issue de cette contrainte, nous nous marierions. Cette sage décision fut totalement approuvée par nos deux familles…
et donc, au début du mois de septembre 1954, j’ai été affecté comme canonnier de 2ème classe au Fort de Romainville où je suis resté jusqu’en avril 1955, avec de rares permissions. Et il faut noter ici que le soulèvement algérien du 1er novembre 1954, entraînera la ruine de tous nos projets.
Pour ma part, ayant réussi le concours de Rédacteur, j’ai pu être mutée dans une Mairie de la banlieue Est de la région parisienne, début Juin 1955. J’ai trouvé à louer une chambre meublée à Ormesson-sur-Marne où je me suis installée.
Et moi, depuis deux mois, j’avais été transféré à Nîmes, à l’Ecole des Officiers de Réserve d’où j’ai été éjecté en Juin 1955 avec le grade de Maréchal des Logis pour rejoindre les Forces françaises en Allemagne, à Kehl, face à Strasbourg, où j’ai appris que mon service militaire serait prolongé jusqu’en février 1956, au bout de 18 mois. A cette date, à cause de la situation en Algérie, je fus déclaré « Maintenu sous les drapeaux » avec mon traitement d’instituteur et un montant égal en Deutsche Marks à dépenser obligatoirement en Allemagne, pour une année supplémentaire !
Du coup, comme nous étions tous deux bénéficiaires d’un revenu, nous avons demandé à nos parents que soit prévu notre mariage, ce qu’ils acceptèrent, et qui eut lieu le jeudi 19 avril 1956, car beaucoup d’invités étaient des enseignants. Ce sont nos parents qui l’ont totalement organisé comme il se devait en ce temps-là.
J’avais obtenu l’autorisation du Colonel commandant mon régiment et une permission de 4 jours me fut royalement accordée.
A la suite, Jean-Philippe venait fréquemment en permission avec du linge et du matériel de ménage achetés en Allemagne, et nous nous retrouvions pour le week-end. Je le raccompagnais à la gare de l’Est le dimanche soir et je rentrais par le métro et le dernier bus desservant Ormesson.
J’ai pu multiplier les permissions car, en tant que militaire, je bénéficiais d’un tarif réduit sur la ligne SNCF et j’établissais moi-même mes permissions, à Kehl, avec l’accord du lieutenant compréhensif sous les ordres duquel je participais à la gestion d’un Service technique du régiment.
Au début du mois de février 1957 j’ai pu emménager dans un appartement F2 tout neuf, dans la ville où je travaillais à la Mairie, que mes beaux-parents et mes parents nous permirent de meubler rapidement.
Et je fus enfin libéré en Allemagne le 27 février 1957, au bout de trente mois, pour arriver le même jour à la Gare de l’est à Paris avec deux grosses valises et un énorme sac bourrés de marchandises achetées avec mes derniers Deutsche Marks.
J’attendais Jean-Philippe à l’arrivée du train et nous avons dû rallier notre nouveau domicile par le métro et le bus, non sans difficulté.
Nous étions enfin réunis. Et un poste d’instituteur m’attendait dans une école proche de la Mairie où Juliette travaillait.
Pour ne rien vous cacher, j’étais enceinte et ce fut enfin un grand bonheur de pouvoir préparer ensemble l’arrivée de notre premier bébé qui se dépêcha de naître avec un mois d’avance à la mi-juillet 1957.
Et nous avons vécu très heureux, encore plus de dix ans, sans téléphone, sans télévision, en ayant eu le temps de fabriquer deux autres enfants !
Juliette et Jean-Philippe
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